Présentation du projet Inventaire des toits en tuiles anglaises du Trégor-Goëlo

Le projet

Attentive au respect de l’histoire du territoire, l’association Océanide réalise, en partenariat avec la Région Bretagne, un recensement des toitures couvertes de tuiles anglaises, importées du port de Bridgwater (Somerset, Angleterre) pendant un siècle, de 1840 et 1940, et qui donne lieu à une particularité de l’architecture vernaculaire spécifique au Trégor littoral

vers 1900 à Ploumanach, toiture refaite en tuiles au milieu des chaumes (collection : André le Person)

. L’étude se base sur un relevé systématique des toitures de 78 communes sélectionnées grâce à l’étude menée dans les années 1980 par Michael Batt et Gwyn Meirion-Jones qui donna par la suite naissance à des articles de presse, entretiens et autres recherches sur lesquelles nous nous sommes aussi appuyées.

L’étude menée par Océanide consiste à compiler les données acquises sur le terrain de façon à pouvoir, d’une part en dresser une cartographie exhaustive https://kartenn.region-bretagne.fr/... dans la limite du territoire choisi, et d’autre part effectuer des recherches des deux côtés de la Manche pour retracer l’histoire de ces tuiles importées par les marins trégorrois, l’évolution des marques de fabrique, les données provenant des archives, les adaptations nécessaires pour passer du chaume à la tuile etc.

La méthodologie du recensement

Un recensement sommaire des couvertures en tuiles anglaises présentes dans le Trégor-Goëlo avait déjà été effectué dans les années 1980 par Michael Batt et Gwyn Meirion-Jones. Leur mode opératoire consistait à noter un carré de 5 km de côté sur une carte dès qu’une toiture avait été recensée. Ceci permettait d’avancer rapidement dans la couverture du territoire et de délimiter les zones où l’on pouvait trouver ces toitures en tuiles de Bridgwater.

Quarante ans plus tard, et donc après la disparition de nombreuses toitures en tuiles, l’association Océanide, consciente de l’intérêt historique et architectural que la présence de ces toitures représente au niveau du patrimoine maritime et à celui des relations commerciales entre la petite Bretagne et la grande, a réalisé en 2021-2022 un inventaire beaucoup plus précis.S’appuyant sur la méthodologie de l’Inventaire général, les membres d’Océanide et la SEHAG (Société d’études historiques et archéologiques du Goëlo) se sont déployés sur les différentes communes du corpus pour repérer méthodiquement ces toitures et les localiser précisément : il en résulte 487 notices descriptives, identifiées sur le site Kartenn de la Région Bretagne Quarante ans plus tard, l’association Océanide initie une étude plus précise, s’appuyant sur la méthodologie de l’Inventaire général. Les membres d’Océanide et la SEHAG (Société d’études historiques et archéologiques du Goëlo) se sont déployés sur les différentes communes du corpus pour repérer méthodiquement ces toitures et les localiser précisément : il en résulte 487 notices descriptives, identifiés sur le site Kartenn de la Région Bretagnehttps://kartenn.region-bretagne.fr/... (en cliquant sur chaque point vous ouvrez les fiches identifiant une toiture recensée). En parallèle, le dépouillement de journaux locaux et registres d’archives permet de mesurer les mouvements d’entrée et de sortie de bateaux. L’exploration des fonds du Blake Museum de Bridgwater viennent également enrichir ce travail. En parallèle, le dépouillement de journaux locaux et registres d’archives permet de mesurer les mouvements d’entrée et de sortie de bateaux. L’exploration des fonds du Blake Museum de Bridgwater viennent également enrichir ce travail.

Après avoir été formés à l’outil informatique de recensement de la Région Bretagne et à la reconnaissance in situ des tuiles de Bridgwater, les recenseurs, membres d’Océanide ou d’associations amies férues d’histoire locale, se sont répartis les communes sur lesquelles ils vont opérer et ont choisi leur moyen d’action : certains commencent par un relevé de toitures rouges notées sur Géoportail, Street View... et vont ensuite sur le terrain vérifier s’il s’agit bien de toitures en tuiles anglaises. D’autres s’arment d’un plan détaillé de la commune et en arpentent toutes les rues, routes et chemins à la recherche de ces toitures. Une fois les photographies prises et les adresses relevées, les recenseurs établissent eux-mêmes les notices sur l’application de recensement de la Région Bretagne ou passent leurs trouvailles à un membre de l’association Océanide qui s’en charge. Cette souplesse permet de faire participer plusieurs dizaines de personnes avec un minimum de contraintes, alors que le noyau central du projet ne comporte qu’une demi-douzaine de personnes.

Dépendance patrimoniale au lieu-dit Ker Goareva sur l’Île-de-Bréhat, Photo Océanide

L’association initiatrice

Océanide est une association dédiée au patrimoine maritime, constituée en 2016, dont le conseil d’administration est composé de férus d’histoire maritime locale dont les connaissances se complètent et provoquent une synergie qui la pousse à œuvrer dans de multiples directions : recherches en archives, publication de livres et articles de presse, conférences sur des sujets variés, expositions de photos anciennes qui voyagent à travers la Bretagne et jusqu’à Cardiff, capitale du Pays de Galles, aide aux associations qui nous contactent (par exemple pour retrouver l’historique d’épaves), balades patrimoniales locales et échanges avec les collectivités locales.

Pourquoi trouve-t-on des tuiles d’origine anglaise en Trégor ?

Au 19e siècle et jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les voiliers-caboteurs de Tréguier, Lannion, Perros-Guirec, Paimpol... traversaient régulièrement la Manche pour rejoindre Swansea, Cardiff ou Berry, avec un chargement de poteaux de mines ou de légumes et revenaient au pays avec du charbon. Les études précédentes supposent qu’ayant eu vent de manufactures de tuiles alors qu’ils déchargeaient à Swansea, Barry ou Cardiff, les capitaines décidèrent de faire la courte traversée du chenal de Bristol pour aller y chercher des tuiles lorsque le fret de retour (charbon) était moins recherché en Bretagne à certaines époques de l’année, par exemple en été où la demande domestique s’effondrait.

Petite histoire des tuiles

A la chute de l’empire romain, les procédés de couverture de toiture en tuiles se perdent au profit du chaume (dans les campagnes) ou des bardeaux de bois (surtout dans les zones montagnardes). Suite à de nombreux incendies les compagnies d’assurance encouragent les propriétaires à privilégier les toitures "en dur", tuiles ou ardoises (zinc à Paris sous l’influence du Baron Hausmann).

Les tuiles de Bridgwater présentent la particularité d’être fabriquées à la main. Certes des machines seront employées au cours des décennies pour extraire l’argile et l’assouplir, mais le travail final reste un travail manuel effectué dans des moules en bois de plus en plus perfectionnés. Ceci contraste fortement avec la production de tuiles françaises de Villequier, Argence et Saint-Ilan notamment, très nombreuses sur le même territoire mais qui proviennent d’une production mécanique.

L’utilisation de la tuile dans le Trégor-Goëlo a fortement augmenté après l’invention du système d’emboîtement qui permet de les fixer (avec ou sans clou selon les années) les unes aux autres et de garantir l’étanchéité de la toiture. Souvent l’adaptation du chaume aux tuiles a nécessité une modification ponctuelle de la charpente et/ou des murs qui soutiennent la toiture.

Les finalités de cette opération

L’Association Océanide souhaite :

- Informer la population de ce commerce trans-Manche, certes pourvoyeur de tuiles bon marché mais qui englobait aussi des transactions plus rentables tels que les poteaux de mines et les légumes primeurs. A cet égard, elle organise régulièrement des conférences, expositions, balades patrimoniales et autres sur tel ou tel aspect de ces importations/exportations.

- Promouvoir les échanges de tuiles entre les propriétaires qui en ont en stock (suite par exemple, à la démolition d’une dépendance) et ceux qui en recherchent pour réparer une toiture existante qu’ils hésitent à renouveler entièrement en raison des frais impliqués. Cette bourse aux tuiles anglaises intéresse également les couvreurs locaux qui recherchent des tuiles anglaises ou veulent échanger celles qu’ils possèdent contre celles d’une autre manufacture anglaise de façon à faciliter la pose.

- S’assurer que cet héritage perdure le plus longtemps possible en attirant l’attention des autorités publiques sur le fait que la tuile fait partie du paysage trégorrois, afin que les permis de rénovation ne soient pas refusés sous prétexte que la Bretagne est le pays de l’ardoise.

Vue paysagère de Plouguiel : une tâche rouge dans le paysage, un bâtiment est couvert en tuiles. Au centre, la passerelle de Saint-François, Photo Océanide

Il ne s’agit pas de figer la tuile dans le paysage du Trégor mais de lui reconnaître la place qui lui est due et, à l’occasion, de faire hommage à ces marins de commerce qui ont introduit cette tache rouge dans nos paysages littoraux.

Références documentaires

Documents d’archives
Archives du Service Historique de la Défense de Brest
Sous-série, 5 P3 : Inscription Maritime de Paimpol et Tréguier
5 P4 : matricule Bâtiments
5 P5 : armement Commerce
5 P8 : entrées et Sorties Navires, Primes à la navigation
5 P258 et suivants : registres Véritas

Archives départementales des Côtes-d’Armor
Fonds de la presse locale ancienne :
4 Mi 2 R : Journal de Paimpol
4 Mi R : Le Lannionnais
JP 54 B : Journal de Tréguier

Bibliographie
BATT, Michael. MEIRION-JONES, Gwyn. "L’importation et la diffusion des tuiles anglaises du Somerset en Bretagne : premiers résultats d’enquête" In Architecture Vernaculaire, t. VIII, 1984.
p. 67-73
BERGER, Claude. RACINE, Françoise. Du côté de Perros : Perros-Guirec, des origines à 1945. Collection Recherches et documents, 1994, 445 p. ISSN 1254-95761994.
p. 234
THE ADMIRAL BLAKE MUSEUM. Images of England. Bridgwater. Copyrighted Material. The History Press ; Illustrated edition, 1997, 128 p.
PRIGENT, Guy. LEVASSEUR, Olivier. BÖELL, Denis-Michel. Faudacq. Édition Apogée, Rennes, 2003, 112 p.
MORRISH, Leslie. Good Night Irene. February Presse, 2016, 224 p.
PORÉE, Brigitte et Jean Claude Porée. Faudacq, entre terre et mer. Édition André Soubigou, 2019
COLLECTIF. Paimpol sous le regard de Faudacq, catalogue d’exposition. Édition André Soubigou, 2022, 56 p.

Périodiques
BATT, Michael. MEIRION-JONES, Gwyn. "L’importation et la diffusion des tuiles anglaises du Somerset en Bretagne septentrionale au XIXe siècle". Tiez Breiz, Maisons et Paysages de Bretagne, n° 6, 1986.
p 46-52
RACINE, Françoise. "Les tuiles rouges du Trégor". Série d’articles publiés dans le journal Ouest-France du 22 au 26 février 1997.
MURLESS, Brian J. "Somerset Brick and Tile Manufacturers - a brief History and Gazetteer". Somerset Industrial Archaeological Society Survey, n° 13, 2000, 54 p.
LE DOARE, Roger. "La tuile anglaise en Trégor". Bulletin de l’Association pour la Recherche et la Sauvegarde des Sites Archéologiques du Trégor - ARSSAT, 2014.
p. 285-289
BATT, Michael. "L’importation de tuiles anglaises du Somerset en Bretagne au xixe siècle : un réexamen après 40 ans de recherches". Archéologie médiévale [Online], Roofing and roofing materials in the Middle Ages, Online since 01 July 2020, connection on 15 November 2022. URL : http://journals.openedition.org/archeomed/25831 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeomed.25831