Histoire de la Grande Pêche de Terre-Neuve à Islande dans le quartier de Paimpol.

Histoire de la Grande Pêche de Terre-Neuve à Islande dans le quartier de Paimpol.

Guy Prigent

En 1830, Paimpol et son terroir possèdent une population maritime très dense ; c’est un réservoir de main d’œuvre dans lequel puisent d’autres ports pour le cabotage, le long cours, la pêche à la morue et à la baleine. Paimpol arme pour Terre-Neuve depuis le XVIe siècle et jusqu’à la Révolution française, c’est le plus grand port morutier des Côtes du Nord. Le quartier compte en 1850, 5200 inscrits maritimes. La petite pêche est prospère ainsi que le bornage, grâce aux engrais marins, et le cabotage arme 50 navires de fort tonnage. Un arrêté de juillet 1841 fixe les zones de pêche ; c’est pourquoi les Paimpolais demandent l’adoption du principe que le pêcheur puisse exercer sa profession en face des terres de son quartier. Cette revendication explique peut-être la proximité de la mer dans l’environnement des hameaux de pêcheurs-cultivateurs.

Dans cette moitié du 19e siècle, la pêche à Terre-Neuve est en déclin, un armateur Louis Morand, suivant les conseils des morutiers Dunkerquois arme une petite goélette de 72 tonneaux « l’Occasion », pour les rivages d’Islande, et ouvre la voie à 80 ans de pêche à Islande.
C’est le 1er avril 1852 que le premier navire « l’Occasion » appareille de Paimpol pour les eaux islandaises, avec à son bord un équipage du pays de Paimpol et un capitaine de Dunkerque François Druel, qui fera ensuite souche à Plouézec.
L’année 1857, Morand vit doubler la flottille, passant à 30 bâtiments, dont le navire la « Plouézécaine », qui traduit bien l’origine des équipages. C’est la ruée vers cet Eldorado maritime, après que F. Druel eut initié les Paimpolais aux techniques de pêche à la ligne et de salaison.

En 1860, le constructeur laboureur commence la construction des goélettes islandaises et pourvoit Paimpol d’une nouvelle industrie navale, qui fera sa réputation.
40 ans plus tard, son contremaître Bonne prendra la relève, en établissant son chantier à Kérity, avec une production importante jusqu’en 1914.

Sur les 8700 inscrits maritimes que compte le département vers 1860-62, Paimpol en fournit 10 000. A cette époque, Paimpol possède une population inférieure à celle des communes de Plouézec (4439 habitants), Ploubazlanec (3412), Plourivo (2473), Plounez (2152), Kérity (1865), Yvias (1570), Bréhat (1348), Kerfot (800) (sources : « Géographie des Côtes du Nord », 1862, Tome 2, p. 185). On remarquera que la commune de Plouézec est de loin la plus peuplée mais aussi la plus étendue du canton. C’est cette commune qui fournit le plus grand nombre d’inscrits maritimes pour la Grande pêche, au regard du mouvement des équipages et des capitaines, originaires de cette paroisse.

La population rurale est pauvre et l’armement islandais puisera ses équipages parmi ses ruraux. Si l’agriculture est florissante grâce à l’apport des engrais marins, elle exporte vers les ports anglais œufs, pommes de terre, beurre salé, orge, sarrasin, avoine, lin, etc. , elle est tenue par de simples fermiers, des petits propriétaires, et nombres de landes sont encore à défricher.

Depuis 1869, le choix de la date de départ est à la liberté de l’armateur : les goélettes peuvent partir de la fin janvier au mois de février pour être plus tôt sur les bancs de pêche. Ce sera l’une des causes de nombreux naufrages lors des tempêtes d’hiver, en 1887, 1888 et 1896.

Jusqu’en 1886, la flottille restera stationnaire avec une cinquantaine de voiliers islandais, manœuvrés par près de 800 matelots. Mais la progression va s’accélérer les années suivantes, alors que les activités de bornage et de cabotage emploient près de 400 marins et la pêche côtière un millier d’hommes embarqués sur plus de300 bateaux. Ces pêcheurs côtiers rapportent du poisson frais, maquereaux et lieux, des coquillages et notamment des huîtres pêchées de façon intensive dans le Trieux, la rivière de Tréguier et Port Lazo. Paimpol est devenu la capitale économique du Trégor.

L’apogée

En 1895, le port de Paimpol est à son apogée pour l’armement de la grande pêche à Islande, moins de deux siècles après le départ du premier navire de Morand. Une forêt de 200 mâts se dresse dans le port, dont 82 navires islandais. L’entreprise islandaise a dopé l’économie locale. 1200 familles travaillent et vivent de la grande pêche. Le député maire Armez peut se réjouir de l’arrivée de l’électricité et de la ligne de chemin de fer Saint-Brieuc-Paimpol. Un second bassin est en projet (terminé en 1902). Paimpol fait des expéditions d’engrais, de houille et de bois du Nord dans les wagons du chemin de fer.

De 1895 à 1900, les résultats de la pêche décroissent, alors que le bornage et le cabotage se développent. De 1900 à 1906, le port nouvellement équipé d’un second bassin, retrouve son intense animation.
Pour l’année 1900, 42 goélettes dont le « Goëlo », capitaine Ollivier, armateur Alain Le Hégarrat et 14 chasseurs, dont la « Capricieuse », du capitaine Lasbleiz, quittent Paimpol pour Islande. A la même époque, Dunkerque arme 75 navires et Gravelines 20 bâtiments. Le vapeur « Ville de Paimpol » de Saint-Malo remorque les goélettes non motorisées jusque la rade de Pors Don ; où ils peuvent rester jusqu’à 3 jours. 4 navires seront portés disparus pour cette première campagne du siècle.

Cependant, un premier chalutier à vapeur armé par Dufihol de Lorient, fait route vers Islande et inaugure un nouveau mode de pêche au chalut. Mais les armateurs Paimpol ne suivirent pas cet exemple, conservant leur technique de pêche à la ligne, du bord avec leurs voiliers. Le rendement s’avère de nouveau très variable. La concurrence étrangère fait baisser le cours de la morue fraîche. En 1911, les Paimpolais reprennent la pêche à Terre-Neuve avec sept bateaux, alors que 20 goélettes font route vers l’Islande. Le tribut de la mer coûte à la flottille 32 navires, disparus entre 1905 et 1914. La Grande Pêche va continuer avec de nombreuses fluctuations jusqu’à la dernière campagne de 1935.

Le déclin

En 1922, le gouvernement islandais ferme ses eaux territoriales aux navires étrangers, pour préserver ses pêcheries et sa production. Le trafic des navires chasseurs est devenu impossible. Le coût d’exploitation des grands voiliers en bois augmente. La flottille voit diminuer ses effectifs. La main-d’œuvre s’en va vers d’autres métiers moins pénibles : la navigation de commerce, les administrations, l’agriculture. La pêche à la voile dans ce deuxième quart du 20e siècle est devenue archaïque. La motorisation des derniers navires (Glycine, Goëlo, Butterfly) n’est pas suffisante pour rentabiliser ce nouvel investissement. Le chalutage côtier rapporte davantage (bateaux armés à Plouézec par des équipages islandais entre deux campagnes), avec la nouvelle activité de transport des pommes de terre.

Pendant ce temps de l’entre deux guerres, l’économie agricole prend son essor sur la :marché de Paimpol, avec la culture des primeurs, de la pomme de terre aux choux-fleurs.
La dernière période du temps de l’Islande comprend la décade qui va de la disparition de la pêche de Terre-Neuve en 1926, au retour de la dernière goélette islandaise en 1935, commandé par un capitaine de Plouézec Michel Le Blais. Le bornage et le cabotage à partir de 1932 vont disparaître. La petite pêche voit ses effectifs diminuer à partir de 1905 et surtout de 1926, pour passer de 300 à 150 unités sur le quartier de Paimpol.

En 1926, les Paimpolais avaient entrepris la pêche au Groenland, comme alternative à l’ostracisme de l’Islande. La campagne du trois mâts « Bar Avel », commandé par le capitaine Adolphe Morellec de Plouézec ne fut guère encourageante avec 47000 poissons. La deuxième campagne de 1927 vit la perte du « Bar Avel ». Le dundee « Goëlo », qui faisait partie de cette dernière et malheureuse campagne est vendu par l’armateur Dauphin à une société de Gravelines ; d’autres navires Paimpolais, dont le « Butterfly » suivront ce transfert. En 1931, il n’y a plus que trois armateurs paimpolais : Le Friec, Le Merdy et Bertho. L’armement français en Islande compte seulement 18 voiliers et 12 chalutiers dont 2 à moteur ; mais la surproduction du poisson freine son écoulement sur le marché français et européen.
L’industrie morutière court à sa perte avec la baisse des cours étrangers. 1933 représente la plus mauvaise année, et certains marins se trouvent débiteurs de leur armateur. En 1934, deux goélettes seulement arment pour Islande : « Glycine » de M. Le Merdy et « Butterfly »de M. Dauphin, pour le compte de la Société de Gravelines , toutes deux commandées par des capitaines de Plouézec, les derniers islandais. Mais ces campagnes obtiennent des recettes de misère. Après avoir livré sa première pêche, « Butterfly » sombre sur une roche dans les parages d’Irlande et la « Glycine », au bout de sa 23e campagne, est désarmée puis vendue au cabotage en Méditerranée. Ainsi se clôt l’épopée islandaise, pendant que les marins se reconvertissent dans la marine marchande, ou vont s’exiler dans les nouvelles cités industrielles.

Les « Islandais » de Plouézec

La commune littorale de Plouézec dispose d’une longue façade maritime, bordée de hautes falaises, échancrées de vallées étroites, ouvertes sur de petites baies. Deux ports animent cette côte sauvage : port Lazo, à l’ouest, port principal des pêcheurs côtiers et des Islandais, et le Port de Bréhec, en limite cadastrale avec Plouha, à l’est. Ce dernier port, protégé par une digue est le lieu de déchargement habituel des gabarres. La commune possède un syndic des gens de mer, deux postes de douanes et un poste électro-sémaphorique sur la pointe de Bilfot.

En 1901, à l’aurore du 20e siècle, Plouézec représente, comme 50 ans plus tôt, la commune la plus peuplée du canton de Paimpol : 4925 habitants., au 2° rang des parmi les communes rurales des Côtes du Nord, après Plérin. Bornée au nord par Kérity et la Manche, au sud par Plouha, Lanloup et Pléhédel, à l’ouest par Kerfot, sa superficie est de 2788 ha. Elle comprend les îlots de la Chèvre et les « Mâts » du Goëlo. La pointe de Bilfot est considérée comme une presqu’île inculte.

Ce terroir maritime est une pépinière de marins au long cours et à la Grande Pêche, après s’être adonné à la pêche côtière et à la tenue de parcs à huîtres. En 1970, Plouézec compte encore 400 inscrits maritimes (chiffres INSEE, communiqués par M° Jouanjean).

Comme nous l’avons déjà fait remarquer dans les paragraphes antérieurs, les marins de Plouézec ont largement participé à l’épopée islandaise. Les raisons sont presque évidentes : une population nombreuse dispersée en plusieurs hameaux ou quartiers, une petite paysannerie relativement pauvre ou modeste sur de petites exploitations récemment défrichées (landes en bord de falaise, sol peu profond et erres acides), l’absence de port vraiment abrité pour la pêche, l’attrait de la mer et de revenus plus importants que dans l’agriculture font de cette activité maritime une économie d’opportunité couplée à une activité agricole plus vivrière que marchande.

Les nombreux témoignages recueillis nous permettent de confirmer ces stratégies familiales d’orientation professionnelle maritime jusqu’au milieu du 20e siècle, où les métiers du commerce maritime ou de l’administration vont attirer jusqu’à l’exode urbain les habitants de Plouézec, mais aussi de la région du Trégor-Goëlo.

Nous avons essayé de faire la généalogie de quelques familles de marins de Plouézec à la Grande Pêche et à la pêche côtière, souvent reconvertis dans la marine de commerce dans les années de l’après Guerre 1950 : Le Cavorzin, Gagne, Even, Jouanjean, Le Hoguillard, Le Blais, Conniat, Quéré. Nous retrouvons ces marins qui se croisent lors de différents embarquements, parfois sur les mêmes navires (la « Glycine », « Goëlo », « Butterfly »), en alternance, jusqu’à la fin de la Grande Pêche à Islande en 1936.