L’industrie de l’algue en Trégor-Goélo
L’industrie des algues en Trégor-Goëlo
Guy Prigent
Un peu d’histoire
Lors du premier Festiv’algue, Pierre Arzel, biologiste et ethnologue, spécialiste des algues a raconté avec passion et éloquence la grande histoire des algues, qui depuis l’Antiquité ont nourri les hommes et les animaux des pays d’Europe du Nord, dont on trouve le témoignage scientifique dans l’analyse des cendres d’algues et plus littéraire dans les sagas islandaises. L’agriculture n’est pas en reste puisque le goémon de rive aurait même été utilisé au 5ème siècle pour amender les vignes. C’est à la fin du 17ème siècle que les ouvriers vénitiens vont inaugurer la fabrication du verre à partir du carbonate de sodium contenu dans la soude ou cendre d’algues que les Normands vont trouver en abondance sur les côtes bretonnes.
Colbert va en 1681 réglementer ces nouveaux usages de l’estran et répartir l’exploitation entre les paroisses : entre les activités vivrières et l’industrie de la soude. Puis la Révolution et l’Empire vont développer la recherche et de nouvelles utilisations : du salpêtre pour la poudre à canon et la découverte de l’iode par Courtois pour soigner les soldats.
Des champs d’algues aux premières usines
Au cours du 19ème siècle, les premières usines vont fleurir en Bretagne et participer au développement des flottilles goémonières avant de péricliter progressivement au 20ème siècle. Cependant, la mécanisation et une réglementation draconienne pour gérer les champs d’algues va permettre de maintenir aujourd’hui une flottille de 45 unités dont 5 bateaux en Trégor. A préciser que l’utilisation du fameux ’tire-bouchon’, ancêtre du ’scoubidou’ moderne, fut utilisé très tôt à Pleubian.
Le première usine d’algues de Pleubian, datée de 1898 (sur le site de ’Pen-ar-Land’, fait suite à celles du Conquet en 1828, de Portsall en 1857, de Tréguier en 1864, de Loguivy-de-la-Mer en 1882 et de l’Île de Bréhat (celle-ci ferma en 1890, après avoir utilisé les anciens bâtiments des phares et balises en 1882).
Ces usines d’iode (l’iode découverte par le chimiste Courtois en 1813) ont pris la relève des premiers fours à goémon, produisant la cendre d’algues utile pour la fabrication du verre dés le 17ème siècle. Les fours à goémon étaient présents sur l’Île Maudez en 1784. Les algues étaient aussi utilisées traditionnellement comme amendements pour l’agriculture, favorisant la ’Ceinture dorée du Trégor’ et la culture des primeurs depuis le 3ème quart du 19ème siècle. En 1838, Trébeurden expédiait 200 goémoniers à l’île Molène pour ramasser le lichen.
Les premières découvertes
La découverte des carraghenates est le fait du laboratoire de biologie marine de Roscoff en 1877 ; celle des alginates est liée au chercheur Stanford en 1883. Selon Le Goffic, la 1ère unité industrielle de valorisation des algues aurait été créée en 1890 à Trégastel par une entreprise allemande. En 1896, la société des Halogènes, dont Monsieur Combes était le directeur, fait l’acquisition des premiers terrains au lieu dit Pen-ar-Land (la ’Pointe de la terre’), à l’Armor-Pleubian. Monsieur James, industriel à l’usine de Pen Lan, découvre un procédé lui permettant d’extraire l’iode directement des algues sans dissoudre les sels minéraux qu’elles contiennent. En 1906, ont lieu les premières tentatives de fabrication d’alginates à Pleubian par la société Norgine, qui avait racheté l’ancienne entreprise. La norgine était une algine très impure mélangée à des débris de cellulose, vendue comme matière apprétante pour les étoffes. Entre 1910 et 1916, la fabrication s’arrête faute de débouchés commerciaux et à cause de la guerre. Pendant cette période, on essaya l’extraction du brome dans l’eau de mer pour la Défense nationale, mais sans succès. En 1917, achat par la société Electro-Chimie, qui la revend quelques années plus tard à la firme belge ’Fabib’. En 1926 démarre la fabrication industrielle d’alginates, grâce aux recherches abouties du chimiste Raoul Richard, mais celle-ci s’arrête en 1931 (crise économique), pour reprendre en 1941 avec la reprise de l’outil de production par la société Maton. En 1959, la société CECA prend la relève et ouvre une nouvelle usine à Lannilis en Finistère. En 1981, l’usine CECA ferme définitivement.
Le renouveau après guerre de Pleubian
En 1975, l’effectif permanent de l’usine était de 50 personnes. Neuf bateaux ramassaient les laminaires pour l’usine, dont des goémoniers de Plouguerneau, dont certains s’installèrent de façon permanente à l’Armor-Pleubian : Tanguy. Entre les deux guerres, l’usine ’CECA’ armait plusieurs bateaux goémoniers pour la récolte en mer. Une vingtaine de personnes ramassaient aussi le goémon de rive pour alimenter la production.
L’industrie des algues : un avenir prometteur
Le 15 mai 1982, une société d’économie mixte ’CERAA’, Centre d’Expérimentation et de Recherche Appliquée en Algologie remplaçait l’ancienne usine, avec le soutien des collectivités locales et départementales. Ce centre, aujourd’hui renommé CEVA va devenir un pôle d’excellence et une référence européenne pour la recherche sur et la valorisation des algues vertes, dans le domaine de l’alimentation animale (avec la société ’L’Aviculteur briochin’), des composts, puis de la culture d’algues.
Les anciens bâtiments de l’usine vont être progressivement détruits dans les années 1980 et remplacés par des équipements neufs, sauf l’ancienne jetée qui est toujours utilisée aujourd’hui. Le centre de recherche s’appelle aujourd’hui le CEVA : Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, avec un statut de société d’économie mixte, dont le Département et LTC possède plus de 50 % des parts.
Au dédut des années 2000, l’apport de la production en algues fraîches se développe : 60 000 tonnes de laminaires qui produisent 3500 t d’alginates par an (10% du marché mondial), 70 000 t de fucales (1/4 de la production bretonne pêché sur l’estran). La France est aujourd’hui second producteur en Europe juste derrière les Norvégiens, et les perspectives d’avenir sont prometteuses : entre la recherche appliquée pour l’industrie alimentaire, l’agriculture (vaccin pour les plantes), les cosmétiques, l’industrie lourde et la médecine et l’algoculture. Cependant face à la concurrence chinoise, nous retiendrons l’avantage de la Bretagne pour développer l’industrie algale : la qualité de ses eaux marines, exemptes de métaux lourds, une richesses algale inégalée en qualité et en quantité, une profession bien organisée et des centres de recherche d’excellence : tout un potentiel pour agir dans le sens d’une stratégie identitaire de développement local sur un territoire, qui associe à la fois une production à forte identité et une dynamiquederecherche.
Les goémoniers ont encore un bel avenir devant eux dans une approche sélective et de qualité de leur production, en gérant au mieux leur champs d’algues.