La longue histoire des pêcheries en Trégor-Goélo.
La longue histoire des pêcheries en Trégor-Goëlo.
Guy Prigent
Sur les côtes trégorroises et du Goëlo, les pêcheries en pierres, que l’on retrouve sur les cartes marines avec la dénomination de "gorred" en breton, sont nombreuses. La configuration particulière d’une côte sauvage au relief très contrasté, alternant falaises, cordons de galets, vasières et estuaires, larges platiers semés de récifs, îles et îlots en archipel, favorisent à la fois un habitat littoral dispersé et une occupation spécifique de ces estrans.
La moindre crique est barrée par un filet presque permanent ou par une levée de pierres (Baie de l’Enfer, ou entre l’île Blanche et le sillon du Talber), les cuvettes naturelles sont encerclées par un muret non maçonné (les étangs marins du Castel Meur en Plougrescant et les pêcheries de l’Île Verte dans l’archipel de Bréhat). Les anses formées par les cordons de galets ou double tombolos, servent ou ont servi de "piscifacture" jusqu’au début du 20ème siècle : le poisson qui passe à grande marée sous le cordon de galets est retenu prisonnier dans l’étang marin et se nourrit de cet écosystème, parfois enrichi volontairement par les locaux, avant d’être senné à cheval.
Les pêcheries d’estuaire sont nombreuses (Trieux et Jaudy), parfois liées à la présence d’une seigneurie (Kermarquer en Lézardrieux, repérée par Le Masson du parc en 1732) et Mézobran en rivière de Tréguier. A l’ouest de l’Ile Maudez, une vaste et ancienne pêcherie fut utilisée jusqu’au second quart du 20ème siècle par les cultivateurs qui exploitaient l’île, comme "parc à ormeaux" (pêcherie cadastrée sur le cadastre napoléonien de 1820). Les dépressions naturelles sablo-vaseuses dans la grève sont autant de nurseries où certains poissons vivipares comme l’ange de mer viennent frayer et se reproduire, à côté des poissons plats, que les pêcheurs à pieds, fin connaisseurs, vont venir piquer au digon ou à la foëne (témoignage de Marcel Queiniec, Pleubian).
Ces dispositions naturelles peuvent être aménagées ou pas par les usagers de la grève, avec quelques pierres, qui vont servir à la fois de repère et de mode d’appropriation par la famille littorale des coureurs de grève. Le pêcheur néophyte, étranger au lieu, sera incapable d’interpréter cette forme de balisage indigène, qui a pu prendre un nom, celui de son découvreur, de celui qui fréquente régulièrement ce (son) territoire et se l’approprie "naturellement".