Histoire du cabotage à la voile La protection du cabotage à voile sur la côte septentrionale de la Bretagne durant la Grande Guerre 1914-1919


En 1914, le tonnage total de la flotte marchande française en jauge brute s’élève à 2 500 000 tonneaux, dont 50 000 tonneaux de voiliers caboteurs soit 500 navires. Ils sont le trait d’union entre les grands ports français où arrivent les navires longs courriers et les petites localités côtières, mal desservies par la voie routière et le chemin de fer. Ils assurent ainsi l’approvisionnement et le factage des productions locales. Quelques voiliers, peu nombreux, trafiquent avec les ports de la Cornouailles, et du Devon. Pendant la guerre, toutes ces petites unités continuent leur trafic. Un grand nombre d’entre eux, renforcés avec les voiliers de pêche inutilisés, vont s’adonner au transport en France des charbons anglais, entre les ports du Canal de Bristol et les ports bretons. Ce trafic est très actif, de l’ordre de 22 millions de tonnes au premier semestre de 1915.
C’est en avril 1915, que les premiers voiliers sont coulés par des sous-marins allemands. Ils détruisent dans le courant de ce mois 16 voiliers de l’Entente ou neutres, pour un total de 7 100 tonneaux bruts.
En 1915, Jean-Victor Augagneur, qui est Ministre de la Marine du 03 août 1914 au 29 octobre 1915, estime que l’armement était plus nuisible qu’utile et qu’en conséquence les navires marchands ne seraient pas armés. Du commencement de la guerre sous-marine jusqu’aux derniers mois de 1916, aucune mesure de protection spéciale aux voiliers n’ai prise. Ce nouvel aspect de la guerre maritime va tout de même inquiéter les compagnies maritimes de transport, elles demandent au Ministère de la Marine de protéger leurs voiliers. Les interruptions de navigation deviennent plus fréquentes à mesure que s’accroit l’activité des sous-marins. A la fin de 1916, les moyens en patrouilleurs et en escorteurs, dont les marines de l’Entente disposent, ne peuvent pas maintenir la liberté de communication. Il est impossible de débarrasser les mers de la menace sous-marine. La question de l’armement se pose pour les voiliers, les vapeurs mais aussi pour le commerce français du charbon. Bien que l’armement général de la flotte de commerce ait été ordonné en février 1916, au mois de novembre de cette même année, aucun voilier caboteur n’avait reçu de canon pour sa défense.
Le 21 janvier 1917, le Préfet Maritime de Brest édite les premières instructions relatives à l’armement des voiliers et à leur formation en convois à destination de la côte anglaise. Dans le courant de février 1917, avec le bénéfice de l’expérience, la coordination des convois de voiliers au départ de Brest se perfectionne. Le rassemblement des voiliers en prévision de la formation d’un convoi s’effectue à Camaret, plus facile d’accès que Brest. Il est décidé que les voiliers en provenance des ports à l’est de Morlaix et à destination de l’Angleterre doivent se concentrer à Cherbourg. La création d’une nouvelle escadrille de patrouilles à Lézardrieux est décidée. Dans des ports sélectionnés par la Marine Nationale, les voiliers reçoivent progressivement leur armement de défense. Il s’agit de bouches à feu des calibres 47, 57 et 65 millimètres, exceptionnellement des pièces des calibres de 75 ou 90 mm.
Le 12 mai 1917, après cinq mois d’évaluation et d’élaboration, paraissent les Instructions Générales sur l’organisation des convois dans l’Océan et la Manche. Il est précisé que le service des convois est de la seule responsabilité des chefs des escadrilles de patrouilles. L’organisation des convois de voiliers est indépendante de celle des vapeurs, et doit être confiée à un officier spécialiste dans ce service. Les convois sont mis en route lorsque les conditions météo le permettent, c’est-à-dire lorsque la direction et la force du vent sont favorables. Ils sont escortés par un ou deux patrouilleurs en fonction de leur importance et de la disponibilité des navires d’escorte. Deux raisons vont s’opposer au fonctionnement optimum de cette nouvelle organisation :
1° - Le manque de moyens en escorteurs ; le plus grand nombre des escorteurs protège les convois de vapeurs au rendement supérieur, car non assujettis au vent.
2è – Le manque de coordination entre les quatre divisions de patrouille : Normandie, Bretagne, Loire et Gascogne, qui sont responsables de la protection de la navigation sur le littoral français. Absence de commandement centralisé, puisque chacun des chefs de division dépend directement du Ministre.
La méthode des convois est sur la sellette. Elle est maintenue grâce au simple constat que tous les voiliers détruits par les sous-marins sont coulés en dehors des convois. En janvier 1918, la doctrine est définitivement orientée vers l’emploi du convoi pour la protection des voiliers caboteurs tout en accélérant la mise à poste de pièces d’artillerie pour leur auto défense. De Bayonne à Brest, à Cherbourg et à Antifer, les voiliers suivent la côte et circulent en convoi. Pour le parcours Brest-Lorient, le Commandement des Patrouilles de Bretagne peut autoriser des appareillages isolés. Les principales lignes de convois pour la traversée de la Manche sont :
- Brest-Cap-Lizard, Brest-Land’s End,
- Lézardrieux-Start Point, Lézardrieux-Cap Lizard et Lézardrieux-Land’s End,
- Cherbourg- Poole.
Une quatrième ligne complète cette organisation : Morlaix-Land’s End.
Les retards sont imputables comme bien souvent aux conditions de vent défavorables, mais aussi à la mauvaise volonté des capitaines. La vraie raison de cette attitude est dans les gains substantiels, jusqu’à 12 fois plus qu’en temps de paix, que réalisent les armateurs, certains de ne jamais manquer de fret… D’une manière générale les mouvements de voiliers s’accélèrent et leur rendement s’améliore. La navigation sur les côtes bretonnes assujetties à de fortes amplitudes des marées, effrait certains capitaines qui connaissent mal les atterrages du littoral breton. Les armateurs demandent à se libérer de ces contingences par l’établissement de lignes de convois supplémentaires. A la veille de l’Armistice, nos moyens en escorteurs se sont accrus, et de nouvelles lignes de convois étaient sur le point d’être créées entre l’Angleterre et les côtes de Bretagne. Avec l’accroissement de la sécurité des zones de cabotage et l’impérieuse nécessité de ravitailler le pays en charbon, cela permet un allègement de la réglementation à laquelle sont soumis les voiliers caboteurs.

L’Armement Militaire des Bâtiments de Commerce (A.M.B.C.)

Au commencement de 1917, la totalité des vapeurs alliés est armée de un ou deux canons. Cet armement défensif n’est pas la panacée puisqu’il ne les protège pas contre les attaques à la torpille. Il est néanmoins conservé et renforcé par l’accroissement du calibre des pièces, et il est étendu à toute la flotte à voiles. Il réduit la capacité offensive des sous-marins au nombre limité de torpilles emportées, en leur interdisant l’attaque au canon moins onéreuse.
L’A.M.B.C. est créé le 28 décembre 1916. Il est la conséquence logique de l’augmentation du nombre de navires de commerce armés. Pour contrôler l’installation et l’entretien de cet armement, il s’avère nécessaire de parfaire l’organisation militaire de l’A.M.B.C. qui sera ultérieurement rattaché à la Direction Générale de la Guerre Sous-Marine, à la création de celle-ci en juin 1917.
La Création des centres de l’A.M.B.C.
La Circulaire ministérielle du 24 février 1917, fixe l’organisation des cinq dépôts en France qui correspondent aux Arrondissements Maritimes, ainsi que celle des centres d’armement des ports de commerces principaux. Cette circulaire précise que chacun de ces centres de l’A.M.B.C. doit assurer :
- 1. Le casernement et l’instruction militaire des marins de l’Etat embarqués sur les navires
de commerce.
- 2. La visite du navire à l’arrivée et au départ pour juger l’état d’entretien du matériel et
l’aptitude du personnel pour le service des pièces.
- 3. L’instruction militaire du personnel à terre pour le mettre en condition de pouvoir servir
avec efficacité les pièces d’artillerie, d’entretenir le matériel et les munitions, d’utiliser
rapidement les appareils fumigènes, les fusées d’alerte et d’exécuter et d’interpréter
correctement les signaux à bras français et britanniques.
- 4. Des conférences auxquelles doivent assister les capitaines, les officiers de la Marine
Marchande et les gradés chefs de pièce, pour les initier aux principes qu’ils doivent con-
naître pour l’utilisation de leur artillerie et l’emploi tactique des fumigènes.
- 5. L’instruction du tir à la mer, sur un bâtiment de l’Arrondissement, des officiers du com-
merce désignés pour diriger le tir d’artillerie et les gradés chef de pièce.
- 6. L’approvisionnement et le suivi des munitions.
- 7. Le service de réparations et de la vérification du simbleautage, autrement dit de
l’alignement de l’organe de visée avec l’axe de la bouche à feu.
- 8. Le service de l’armement est dirigé par l’officier canonnier en charge de l’artillerie.

L’Inspection de l’A.M.B.C.

Pour contrôler l’application des directives énumérées ci-dessus, une inspection de l’A.M.B.C. est créée par la Circulaire Ministérielle, du 22 mars 1917. Un service d’inspection avec une mission de contrôle permanent est créé au niveau de l’Etat-major Général de la Marine.
Dans chaque Arrondissement maritime et dans la Zone des Armées du Nord (Dunkerque), des sous-inspections sont mises en place. Elles dépendent directement de l’Amiral commandant la Marine de Guerre, il en est de même pour les centres de l’A.M.B.C. implantés dans chaque port important du littoral.

L’A.M.B.C. du 2ème Arrondissement Maritime de Brest

Le Centre d’Instruction de l’A.M.B.C. du 2ème Arrondissement est installé à l’entrée nord du goulet de Brest, sur la commune de Plougonvelin où il bénéficie de l’infrastructure du fort de Bertheaume. L’assistance technique est assurée par l’Arsenal de Brest.
La décision Ministérielle du 24 juillet 1917, est à l’origine de la création d’un Centre annexe de l’A.M.B.C. à Saint-Malo. L’immeuble occupé avant la guerre par l’école de pilotage, accueille les services de ce Centre annexe, qui est rattaché administrativement à celui de Brest. Le péril pressant des sous-marins, engendre de la part du Syndicat des Armateurs et Marins Bretons, présidé par le dynamique et très influent vicomte Alain Le Gualez de Mézaubran (1860-1933), une demande croissante d’armement des petits navires caboteurs de moins de 500 tonneaux. Pour satisfaire cette demande, il est décidé de créer des antennes de l’A.M.B.C. dans deux ports des Côtes-du-Nord.
Les antennes de l’A.M.B.C. du littoral des Côtes-du-Nord
Saint-Brieuc – Le Légué
Les matériels d’artillerie sont stockés dans un entrepôt mis à la disposition de l’A.M.B.C. par le vicomte Le Gualès de Mézaubran.
Paimpol
La Marine Nationale loue au port de Paimpol un magasin pour les besoins de l’A.M.B.C. L’installation de l’artillerie à bord des voiliers caboteurs est effectuée par les chantiers navals Bonne & Lesueur. Le jour de l’armistice, 10 canons de différents calibres sont disponibles, dont le poids est estimé à 15 tonnes et le volume à 30 mètres cubes.
Les matériels d’artillerie utilisés pour l’armement des voiliers de moins de 550 tonneaux

Les calibres des canons mis à poste sur les voiliers caboteurs, sont compris entre 47 et 65 millimètres.

Un rarissime canon de 65 mm Modèle 1888-91, fait partie de la collection du Musée du Fort du Fermont (54). Photographe Alfan Beem.

Exceptionnellement des bouches à feu des calibres 75 mm et 90 mm, arment certains voiliers qui sont capables de supporter les contraintes mécaniques, qu’engendre la puissance du recul de ces pièces d’artillerie. A titre d’exemple, la goélette ‘’Victorine’’ de 74 tonneaux, de l’armateur pleubianais Jean-Marie Le Foricher, enregistrée au quartier des Affaires Maritimes de Tréguier fut armée d’un canon de 75mm modèle 1897.

L’instruction technique du tir

Au début du mois de novembre 1917, les armateurs de Paimpol, acceptent d’envoyer les capitaines ou les seconds des voiliers caboteurs, en stage d’une dizaine de jours au Centre de l’A.M.B.C. de Brest. Cette période d’instruction a pour ambition de leur faire acquérir les rudiments pour la direction du tir, qui sont indispensables au service d’une pièce d’artillerie installée sur le pont d’un voilier, par essence instable. La grande majorité des équipes de pièce des navires de commerce manquent d’entraînement, tant au point de vue du pointage que du service des pièces, quant à celui des directeurs de tir il est quasi nul.
Dans le courant de l’année 1917, tous les vapeurs alliés sont armés d’un ou deux canons, certes cet armement défensif ne les protège pas des attaques à la torpille. Il n’en n’est pas moins conservé et même renforcé avec l’accroissement du calibre des pièces et il est étendu à tous les voiliers. Il est avéré qu’il interdit à l’ennemi l’attaque au canon, moins onéreuse, et réduit le tableau chasse potentiel de chaque sous-marin au nombre restreint des torpilles embarquées. Pour les navires dont le pont est capable d’en supporter les contraintes il est complété par la mise à poste d’un mortier. Il s’agit de l’adaptation à l’emploi sur des navires de matériels de tranchée, dérivés du matériel de 58mm modèle n°2 français et du mortier Van Deuren d’origine belge. Ces matériels permettent de lancer en tir courbe, une charge anti sous-marine sur la position supposée d’un submersible ennemi.
Pour la Marine qui est confrontée à l’agressivité offensive des sous-marins ennemis, l’A.M.B.C. est le prélude à l’institution le 12 juin 1917, de la Direction Générale de la Guerre Sous-Marine (D.G.G.S.M.).

ANNEXE 1
Les archives qui concernent l’armement des voiliers caboteurs d’un tonnage de moins de 550 tonneaux sont incomplètes et dispersées. En conséquence ces deux listes ne peuvent prétendre à l’exhaustivité.

Etat des voiliers caboteurs de moins de 550 tonneaux des quartiers de Paimpol et Tréguier rattachés administrativement an Centre AMBC de Brest dont l’armement a été identifié.