Janvier 1944 - Estuaire de Tréguier L’île d’Er entre dans la guerre clandestine Opérations maritimes pour le « S.I.S » Yannick Le Manac’h

Résumé : Dès janvier 1944, des vedettes rapides de la Royal Navy et de l’US Navy, quittent Dartmouth (Angleterre) en fin d’après-midi pour traverser la Manche et atteindre, de nuit et en toute discrétion, les côtes du Trégor et du Goëlo. Ces petites unités ont pour mission de récupérer du courrier d’importance stratégique, opérer des transferts, de matériels, d’armes, de devises, d’agents de renseignement et d’opérateurs radio.

WW2 - Vedettes rapides anglaises en convoi – Affût double Vickers 12.7 mm Y. Le Manac’h ; Collection personnelle.

Avant-propos

Les combattants de la France libre qui, depuis le début de l’occupation allemande, opèrent pour les services de renseignements britanniques, notamment le SOE (Special Operations Executive ) [1], subissent des pertes importantes.

Le « renseignement » requiert une plus grande cohérence, chaque détail ne pouvant être ignoré dans la perspective du débarquement en Normandie. Les alliés ont besoin, en temps réels, d’informations d’importance majeure et cohérentes sur l’activité et la concentration des troupes allemandes : son ordre de bataille, les divisions « Panzer », les défenses côtières, les stations radar, l’activité des bases sous-marines et des ports de guerre, etc., qui plus est, sur l’état d’esprit et le moral des forces d’occupation. Dans cette optique, en mars 1943, l’Etat-major du général Eisenhower à Londres élabore le « Plan Sussex ». Il s’agit de mener des opérations d’infiltration d’envergure sur le sol français, notamment dans les zones potentielles de combat, plus particulièrement les régions situées au nord de la Loire. Le Commander Kenneth Cohen du SIS britannique (Secret Intelligence Service), le Colonel Francis Pickens Miller de l’OSS (Office Strategic Service) nouvellement créé en Angleterre pour les USA, ainsi que le Colonel Gilbert Renault (alias Rémy) du BCRA [2], (Bureau Central de Renseignements et d’Action) de De Gaulle sont chargés de l’organiser dans le plus grand secret. Ces missions, d’une importance stratégique, seront réalisées par des volontaires exclusivement français, soumis à un entraînement intensif durant de longs mois et formés à la technique du renseignement militaire par les services britanniques et américains. Le dispositif repose sur le parachutage d’agents et de matériel en France occupée mais aussi sur des liaisons maritimes « trans Manche » qui montent en puissance dans les mois qui précèdent le débarquement. Atteindre les objectifs du Plan Sussex nécessite une parfaite coordination entre les services de renseignements anglais et les réseaux français de la résistance.

Opérations maritimes SIS-SOS « trans Manche » ; des missions combinées

Côté britannique – La 15ème flottille de Motor Gun Boats (MGB)
Il faudra attendre 1967, pour que l’activité de la 15ème flottille soit levée du « Secret Défense ». Les faits nous sont rapportés par les ouvrages de Lloyd Bott [Lloyd Bott : First Lieutenant MGB 502 – The story of the Royal Navy’s 15 th Motor Gun Boat Flottilla[]] : The Secret War from the River Dart  ; Richard Brook [3] : «  Secret Flotillas - Volume I ; le Whitehall History Publishing : Clandestine Sea Operations to Brittany 1940-1944 Whitehall History Publishing – Operations : January-August 1944 for SIS ; Routledge (2011 » ; Pierre Tillet : Tentative of History of In/Exfiltrations into/from France during WWII from 1940 to 1945 (Parachutes, Plane & Sea Landings) – Listing, p.89 à 162, rev.109 ; sans oublier la contribution des historiens Michel Guillou [4] , Sylvaine Baehrel (réseau ALIBI) [5] et de l’ASSDN [6] .

Dans un premier temps les services de renseignements britanniques utilisèrent, le sous-marin et des navires de pêche souvent surmotorisés, comme vecteurs de liaisons clandestines avec la Bretagne, notamment le SIS Fishing boat Flottilla et l’Inshore Patrol Flottilla. Dès 1943, le recours à ces moyens fut quasiment abandonné au profit d’une organisation structurée reposant sur une flottille spécialisée de la Royale Navy : la 15ème flottille de MGB (Motor Gun Boats) dont les MGB 318, 502, 503 et la MTB 718 (Motor Torpedo Boat) [7] . La flottille, cantonnée sur la rivière Dart à Dartmouth, au Sud de l’Angleterre (Devon), utilise comme base logistique l’ancien clipper Westward-Ho et fonctionne sous l’autorité directe des services de renseignement britanniques, le SOE et le SIS, qui fournissent les agents et les instructions pour les missions. L’OSS américain vient appuyer ce dispositif avec le 2ème escadron des vedettes lance-torpilles PT 71, PT 72 et PT 199 (Patrol Torpedo Boat).

WW2. MGB 316 - type Fairmile C (sister ship de la 318) - 15th flotilla Darmouth (Wikimedia commons ; domaine public)

Il s’agit d’un ensemble de navires à faible déplacement, rapides, peu protégés structurellement, armés par des équipages spécialement compétents et aguerris, tant officiers que marins, capables de communiquer avec les agents de la résistance française rompus au travail du renseignement. Les côtes de la Bretagne Nord, relativement proches, conviennent à l’établissement de liaisons maritimes susceptibles de procéder en toute discrétion à la récupération de courriers sensibles, opérer des transferts, de matériels, d’armes, de devises, d’agents de renseignement de la France Libre et d’opérateurs radio. Les services britanniques vont alors concentrer leur action sur le littoral du Trégor-Goëlo depuis les sites de Beg an Fry (Guimaëc), l’archipel de l’île- Grande, île Canton (Pleumeur-Bodou), l’île D’Er (Plougrescant). Le site de Plouha sera particulièrement dédié à la récupération des aviateurs alliés abattus au-dessus de l’Europe. Les armes principales de ces petites unités sont la vitesse et la furtivité. Les missions s’effectuent de nuit. Le succès de l’opération dépend surtout de la qualité de l’officier navigateur.

WW2 - MGB 503 sister ship de la 502 - Archives Coastal Forces Veteran Association

David Leslie Birkin, officier de navigation, connu pour être le père de Jane Birkin [En 1985, son père est décoré par le président François MITTERRAND de la croix de chevalier de la Légion d’honneur. En 1989, Jane refuse cette distinction « Mon père a été un héros, et seuls les héros reçoivent la Légion d’honneur » dit-elle. Médiapart 16.07.2023[]] , mais aussi pour ses talents de navigateur, malgré une santé fragile, participa à plus de 30 missions en Bretagne-Nord, notamment sur l’Ile-Grande et Plouha. La prise de contact, au point de ralliement, réalisée sous le nez des sentinelles ennemies, requiert une maîtrise sans faille et une abnégation totale, tant des marins d’outre-Manche que des membres des réseaux de résistance. Pour atteindre l’objectif le plus discrètement possible, la vedette doit, à l’approche du point de rencontre, éviter les brisants bordant la côte, composer avec la météo, la marée et les courants, réduire sa vitesse et le bruit des moteurs pour passer à moins de 5 nœuds, mouiller l’ancre en utilisant une aussière de chanvre au lieu de la chaîne pour limiter les bruits au maximum, mettre à l’eau les « surf-boat  » et pagayer jusqu’au point de rendez-vous, puis retourner à la vedette ; tout cela en moins d’une heure, dans l’obscurité totale et le silence absolu, qui plus est, en courant le risque d’une trahison. Difficile, en ces circonstances, de ne pas imaginer la problématique, pour les membres du réseau de préserver une telle clandestinité.

{WWW2 - Vedette lance-torpilles américaine - PT (Patrol Torpedo Boat) – Higgins Industries}

Au cours des six mois précédant le «  Jour J  » et dans les semaines qui suivirent, la 15th flottille, en augmentant ses opérations, a joué un rôle essentiel dans la préparation du débarquement allié en Normandie. Au total 32 missions ont été réalisées dans le Trégor-Goëlo, entre janvier et septembre 1944 : 8 missions sur Beg an Fry (7 succès, 1 échec), 10 missions sur l’île-Grande (6 succès, 4 échecs), 5 missions sur l’île d’Er (3 succès, 2 échecs), 9 missions sur Plouha (toutes avec succès) [8] ; aucune perte de navire n’est à l’actif de ces missions.

{WW2 - Motor Torpedo Boat (MTB) - Dart River – Dartmouth (Devon) Y. Le Manac’h - Collection personnelle}

La France Libre - Les combattants de l’ombre sur les côtes du Trégor-Goëlo.

Plusieurs réseaux de résistance ont collaboré directement avec le SOE le SIS et l’OSS à Londres et la 15ème flottille, jouant un rôle vital dans la libération de la France, en fournissant des renseignements stratégiques aux alliés, en aidant les agents et les aviateurs à échapper à la capture et en sabotant les efforts de guerre allemands, en déposant des agents et des opérateurs radio sur le sol français.

Le réseau VAR et le Groupe de Maurice Buckmaster opéraient très activement, entre autres, dans la région de Beg An fry à Poul Roudou en Guimaëc (Baie de Lannion). Plus spécialisé dans les opérations de sabotage, le fonctionnement du réseau VAR fut cependant compromis par les soupçons que suscitaient ses opérations. On compte, au nombre des agents débarqués sur cette place, François Mitterrand (alias Morland).

Le réseau ALIBI opérait sur l’archipel de l’île-Grande (Pleumeur-Bodou) notamment sur l’île Canton, nom de code des opérations «  Glover  ». Début janvier 1944, nait le sous-réseau de renseignement « B/O Bretagne » dont le siège est installé à l’Ile-Grande, au 1er étage de la maison de la famille Briand qui tient un bar-alimentation-tabac. Les familles Briand, Le Goff, Limpalaër et Vallée sont au centre de cette organisation supervisée par Tassick Briand, responsable local. Il va s’avérer très vite que le site de Canton est une véritable souricière qui faillit être fatale à la mission du 24 avril. Dès lors, le réseau se déplace à Pors Gelen (Nord-Est de l’Ile-Grande) ; la maison de vacances de la famille Vallée, située à proximité, constitue le nouveau lieu de rendez-vous… La Wehrmacht savait ? A l’évidence ; c’est ce qu’évoque Loïc Beauverger en 2020 dans Ouest-France : « La dernière mission sera menée le 5 août 1944, sans qu’aucun résistant soit inquiété. Il s’en faudra de peu. Quelques jours plus tôt, en effet, un officier de la Wehrmacht avait fait savoir à Raymond Laporterie, un gendarme lannionnais appartenant à la Résistance, qu’il connaissait l’existence du réseau et les noms de chacun de ses membres. En affirmant qu’il ne les ferait pas tomber, « j’espère que vous nous en serez reconnaissants ». Laporterie ne l’oubliera pas et plaidera sa cause quand il sera arrêté, avec les soldats allemands, lors de la libération de Lannion » [9] .

Le BCRA de De Gaulle – réseau Turquoise, opérait sur l’île d’Er dans la région de Tréguier. Yvon Jézéquel, originaire de Lézardrieux, brillant élève qui se destinait à l’École Navale, suit une formation intensive d’agent clandestin en Angleterre avant d’incorporer le BCRA et d’être chargé de missions en France au sein du réseau Turquoise implanté rue Gutenberg à Rennes. Sa jeune sœur Simone, qui le rejoint dans la clandestinité, transporte du matériel radio. La nuit du 29 au 30 janvier 1944, Yvon est débarqué par une vedette anglaise à l’île d’Er. Le 14 avril 1944, sur dénonciation, le siège du réseau à Rennes est encerclé et saisi par la Gestapo, Yvon échappe à la souricière en sautant par une fenêtre avec une valise contenant les papiers et la trésorerie du réseau. Simone est arrêtée à Paris. Deux jours plus tard, Yvon est saisi à son tour par la Gestapo, gare Montparnasse. Il parvient toutefois à avertir Londres ce qui limitera les arrestations et mettra fin véritablement aux missions sur l’île d’Er. Le frère et la sœur sont tous deux internés à la prison Jacques Cartier à Rennes. Yvon, après avoir été torturé, part le 28 juin 1944 pour Compiègne, puis pour l’Allemagne. Il meurt le 6 janvier 1945 à Hamburg-Spaldingstrasse. Simone décède deux mois plus tard (3 mars 1945) à Ravensbrück. Yvon et Simone Jézéquel seront déclarés « Morts pour la France » [10] .

Le réseau Shelburn opérait depuis l’anse Cochat, nom de code Bonaparte, à Plouha (Côtes du Nord). Cet épisode est celui le plus documenté des actions menées par la 15ème flottille britannique en collaboration avec les résistants de la France Libre [11] [12] [13]. Créé en 1943 par la branche MI9 du service secret britannique, le réseau Shelburn est dirigé par François Campinchi [14] (des sources anglaises l’attribuent à deux volontaires de l’armée canadienne : le Capitaine Lucien Dumais et le lieutenant Ray La Brosse). L’objectif premier est d’exfiltrer vers l’Angleterre les équipages des avions alliés abattus au-dessus de l’Europe. Des convoyeurs les prennent alors en charge pour les amener jusqu’à Plouha, où ils sont hébergés dans des familles, en attendant une opération d’exfiltration ; 135 aviateurs et 15 agents alliés ont pu être ainsi rapatriés vers Dartmouth (Angleterre). La singularité de ce réseau, dont Anne Ropers demeure une légende, est de n’avoir connu aucun échec et aucune perte dans ses rangs.

Opérations sur l’Ile d’Er
L’Ile d’Er (commune de Plougrescant) est l’îlot principal d’un petit archipel situé à l’entrée Ouest de l’estuaire du Jaudy menant au port de Tréguier ; ces pointements granitiques sont reliés entre eux par des cordons de sable et de galets, accessibles de la côte à marée basse. L’île d’Er abritait alors une petite ferme. De janvier 1944 à avril 1944, la 15th MGB flotilla effectue 4 missions dont deux couronnées de succès et 2 échecs : échange de courriers et de renseignements stratégiques, débarquement d’agents, d’opérateurs radio, de valises d’instructions, de matériel radio, d’armes, etc. [15] . « M. Kernanen se souvient de quatorze valises en une seule fois, transportées en charrette par Louis Bougeant, de sa ferme de Kerbert jusqu’à celle de Joseph Coadou à Kerganzennec… D’autres participaient aux opérations avec canots de pêche et chevaux de la ferme de l’île d’Er » [16] .

28-29 janvier 1944 - MGB 318 (Lt Jan McQuoid Mason). Dans la nuit du 28-29 janvier, la MGB 318 débarque sur l’ile d’Er trois agents travaillant pour le BCRA de De Gaulle : Yvon Jézéquel (alias Blavet, alias Yves Josse, réseau Turquoise) et deux radios les WT (Wireless Transmitter) Weybel (Alias Ernest) et Etienne July (alias Okoume 200) ainsi que du matériel.

23-24 mars 1944 – MGB 318 (Lt Jan McQuoid Mason). Une nouvelle opération est organisée pour récupérer le courrier et débarquer trois autres agents : Théodore Doare (alias Théodore Urvois), le WT Louis Marec (alias Kervarec, pseudo Jean Kerangal, Mission Coulinec, réseau Turquoise), Pierre Serandour (alias Col Prax, alias Jean Perron, Réseau Mabro /Praxitele). Le point de rendez-vous est fixé à l’île d’Er du côté de Toul an Tan. Un contact radio est établi avec le comité de réception, mais en raison de la marée basse, les surf boats ne peuvent pas débarquer ; la mission est abandonnée, retour à Dartmouth.

25-26 mars 1944 – MGB 318 (Lt Jan McQuoid Mason). BCRA/SIS. Une deuxième tentative est couronnée de succès. Les trois agents sont débarqués côté Ouest de l’île d’Er ; le courrier est récupéré. Le 19 avril 1944, suite à une dénonciation, le radio Louis Marec est arrêté à Morlaix et interné à la prison de Rennes. Le 8 août 1944, durant son transfert à Tours, il parvient à s’évader et rejoint la Grande Bretagne le 23 août 44.

25-26 avril 1944 – MGB 502 (Lt Peter Williams). Dans The Secret War from the River Dart, Lloyd Bott rapporte que Jézéquel, au moment de son arrestation, devait se rendre en Bretagne pour cette opération. La mission a cependant eu lieu avec pour objectif de récupérer des agents du SIS en un point de rendez-vous sur la rive Est de la rivière de Tréguier. Elle sera considérée par Peter Williams et Brian Fraser, l’Officier navigateur, comme l’exercice de navigation le plus difficile que la MGB 502 ait jamais eu à faire. Après être resté à l’ancre pendant plus d’une heure sans aucun signal de la côte, la MGB 502 entreprend son voyage de retour vers Darmouth ; c’est alors que la canonnière se trouve engagée malgré elle dans un combat naval. Ce qui suit s’inspire d’une traduction libre et personnelle de quelques extraits du livre de Lloyd Bott complétée par le récit détaillé d’Alfred Harris, artilleur oerlikon de la MGB 502, qu’il adressera en 1994 à l’intéressé. « Le ciel devant nous s’est soudainement illuminé par des fusées éclairantes alors que nous émergions de l’écran d’ilots rocheux qui bordent cette partie de la côte. Nous avons été confrontés à une bataille navale à grande échelle [17] entre le croiseur HMS Black Prince, le destroyer HMS Ashanti appuyés par les destroyers canadiens de classe Tribal, HMSC Haïda, Athabaskan et Huron et trois torpilleurs allemands de classe Elbing [18]

{WW2 - Torpilleur allemand de la classe Elbing (de T22 à T36)}

,
T24, T27 et T29  » appartenant à la 4e flottille de torpilleurs de la Kriegsmarine basée à Brest. Ces trois navires allemands, révélés par des fusées éclairantes, se déplaçaient vers l’ouest à pleine vitesse à moins d’un mille devant la MGB 502 qui, dans l’expectative, avait coupé ses moteurs. Le T27 et le T24 bien que touchés par les destroyers réussissent à s’échapper sous couvert d’un rideau de fumée. Le feu des anglo-canadiens se concentre alors sur le leader, le T29 [19] . En grande difficulté, privé de gouvernail lors d’une première salve, le torpilleur semble hors d’état de nuire quand soudainement il reprend le combat avec un feu rapproché et soutenu. Eclairé de toute part, la MGB 502 se trouve dans une situation périlleuse et constitue une cible immobile tant pour les destroyers alliés que pour les batteries côtières allemandes qui entrent en action : « Nous avons donc redémarré les moteurs et passé un moment difficile à éviter la mêlée. L’un des destroyers canadiens, supposant que nous étions un E-boat [20], a tiré sur nous. Nous avons allumé nos feux de navigation, de mât et de reconnaissance et tiré des signaux d’identification à deux étoiles avec le pistolet « Very  », en vain, ceux-ci n’ont produit aucun répit immédiat mais heureusement les obus sont tombés derrière nous. Nous sommes retournés à Dartmouth sans dommage et sans incident ».
L’engagement se poursuit
Alors que la 502 rejoint Darmouth, ce 26 avril 1944 vers 4h30 du matin, le T29, blessé à mort, reçoit le coup de grâce et coule presque immédiatement, en face de Port-Blanc, entraînant avec lui 137 hommes de l’équipage, dont son commandant, le Kapitänleutnant Georg Grund, ainsi que le Korvettenkapitän Franz Kohlauf, commandant de la 4e Flottille de torpilleurs qui se trouvait lui aussi à bord avec une grande partie de son état-major. Dans la journée du 26 avril, les patrouilleurs récupéreront 73 rescapés. Pendant des jours les populations côtières ramasseront des débris, des canots avec des cadavres, et de nombreux noyés. L’épave du T29 repose encore par environ 45 mètres de fond, à 5 milles à l’est de l’île Rouzic et 3 milles au nord de Port-Blanc [21] .
Le combat continue entre les navires alliés de la force 26 et les torpilleurs allemands rescapés T24 et T27. Dans la nuit du 28 au 29 avril, le T27, en détresse et en flamme, se jette à la côte dans les parages de Kerlouan (Nord-Finistère) où il est sévèrement atteint par des avions Typhoon du 266e Squadron britannique et achevé quelques jours plus tard par une torpille lancée par la MTB 673. Le T24 réussit le tour de force de couler l’Athabaskan par une torpille au large de l’île Vierge (Plouguerneau). Le 28 août 1944, il est envoyé par le fond dans l’estuaire de la Gironde, victime d’une attaque aérienne menée par dix-huit Beaufighters de deux escadrons du Coastal Command : le 404ème escadron de l’ARC et le 236ème de la RAF ; ce fut l’une des premières attaques aériennes à la roquette de l’histoire [22].

22 septembre 1944 – dans le bilan des opérations de la 15ème flottille, Michel Guillou associe à l’île d’Er une 5ème mission « couronnée de succès » réalisée le 22 septembre – intitulée «  J.Morgan  » Lézardrieux - sur laquelle il n’apporte pas d’éléments et qui n’apparait pas dans le listing de Pierre Tillet (Whitehall History.plubishing)

La fin tragique des MGB 502 et MGB 503
A la fin de la guerre, après un brillant palmarès de missions particulièrement risquées réalisées sans incident au sein de la 15ème flottille, les MGB 502 et MGB 503 connurent une fin tragique. La MGB 2002 (ex MGB 502), commandée par Mike Marshall (ex commandant de la MGB 503) acteur de nombreuses missions dans le Trégor-Goëlo, saute sur une mine le 12 ou 13 mai 1945 dans le détroit de Skagerak (Suède), il n’y eut que deux survivants grièvement blessés ; Mike Marshall assurait le remplacement temporaire du commandant en titre. Le 18 mai 1945, la MGB 2003 (ex MGB 503), saute sur une mine dérivante, dans la Manche ; les trente-six membres d’équipage sont tués.

In memoriam
Héros souvent oubliés, le sacrifice des combattants et des combattantes de l’ombre engagés dans une guerre secrète, qui contribuera au succès du débarquement en Normandie, est trop souvent occulté par les médias et les grandes commémorations. Depuis le début de l’occupation et malgré la réorganisation du renseignement en 1943, traqués par l’Abwehr, la Gestapo et la milice, souvent victimes de dénonciations, ils ont payé un lourd tribut à leur espoir de faire de la France une nation libre et indépendante ; bon nombre ne survivront pas aux traitements qui leurs seront infligés dans les prisons et les camps de concentration. Comme tant de patriotes, « Yvon et Simone Jézéquel, jeunes résistants bretons, ont sacrifié leur vie pour la liberté de la France. Leur courage et leur engagement sont gravés dans la mémoire collective, honorés par des distinctions posthumes et inscrits sur le mémorial des Services spéciaux à Ramatuelle » (AASDN) . [23] [24]
Déjouant la menace des forces ennemies, le succès de la 15ème flottille reposait sur des équipages spécialement compétents et aguerris, capables de fournir une grande somme d’efforts, sachant que la moindre fatigue ou erreur pouvait avoir une importance capitale sur le déroulement de l’opération, voire le destin de la vedette et de ses occupants. Marins et résistants, ces acteurs ont contribué de manière significative à la libération de la France et écrit un chapitre important de l’action clandestine menée pendant la Seconde Guerre mondiale dans le Trégor-Goëlo. Les stèles de Beg an Fry (Guimaëc), Ile-grande (Pleumeur-Bodou), de Plouha, aujourd’hui quelque peu ignorées, rappellent le succès des activités secrètes de ces petits navires qui, sans plus de protection, œuvraient sur notre territoire.

{Stèle de Port Gélin à l’Ile-Grande (Pleumeur-Bodou) commémorant l’action de la 15th flottille MGB (inscriptions plus ou moins effacée) - Photo Y. Le Manac’h}

ANNEXE
Caractéristiques des moyens nautiques de la 15 th MGB Flotilla
et des torpilleurs allemands classe Elbing

MGB 318
« Motor Gun Boat »

Classe : Fairmile Type C – 1941
Longueur : 34 m ;
Largeur : 5.31 m
Tirant d’eau : 1.73 m
Déplacement : 72 tonnes
Propulsion : 3 moteurs à essence suralimentés de 850 Cv unit
Vitesse : 26,5 nœuds
Rayon d’action : 500 milles à 12 nœuds
Armement : canons, mitrailleuses, de divers calibres et 4 charges de profondeur anti-sous-marine (ASM)
Générateur de fumée
Équipage : 16

MGB 502, 503
« Motor Gun Boat  »

Camper & Nicholson – 1942
Longueur : 36 m
Largeur : 6.17 m
Tirant d’eau : 1.24 m
Déplacement : 95 tonnes
Propulsion : 3 moteurs diesels Paxman de 1000 cv unit – Vitesse : 28 nœuds
Rayon d’action : 2000 milles à 11 nœuds
Armement : canons, mitrailleuses, de divers calibres, charges de profondeur anti-sous-marine (ASM)
Générateur de fumée
Équipage : 21

PT71 – PT 72
Patrol Torpedo Boat (US)

Higgins Industries (Nouvelle-Orléans)
Longueur : 24 m
Largeur : 6.12 m
Tirant d’eau : 1.60 m
Déplacement : 52 tonnes
Coque bois composite non blindée
Propulsion : 3 moteurs essence suralimentés de 1050 cv unit – Vitesse : 39 nœuds
Rayon d’action : 500 milles à 20 nds
Armement : Armement : 4 torpilles, canons et mitrailleuse, 2 grenades ASM et 2 lance-roquettes
Générateur de fumée
Générateur de fumée
Équipage : 17

MTB 718
Motor Topedo Boat (transformée canonnière)

Alex Robertson & Sons Ltd. (Sandbank, Scotland, U.K.)
Fairmile classe D
Longueur : 45 m
Largeur : 8.38 m
Tirant d’eau : 1.96 m
Déplacement : 108 tonnes
Propulsion : 4 moteurs de 1250 cv unit
Coque bois composite non blindée
Vitesse : 29 nœuds
Rayon d’action : 800 milles sur 4 moteurs
Armement : 4 lance-torpilles remplacés par de l’artillerie : canons, mitrailleuses, de divers calibres, charges de profondeur anti-sous-marine (ASM)
Générateur de fumée
Équipage : 15

T29 - Torpilleur allemand Classe Elbing
Longueur : 102 m
Largeur : 10 m
Tirant d’eau : 3,22 m
Déplacement : 1294 tonnes
Propulsion : deux turbines à vapeur développant 32560 chevaux
Vitesse : 32 nœuds
Rayon d’action : 2400 milles à 19 nds
Armement : 4 canons de 105 mm, 4 canons de 37 mm, 12 canons AA 20 mm, 6 tubes lance torpille de 533 et 50 mines
Générateur (s) de fumée
Équipage : 206

{WW2 - Approvisionnement en torpilles d’une vedette MTB à Dartmouth 23ème flottille MTB (FNFL) © Y. Le Manac’h, collection personnelle

 [25]

–10-01-2025

Notes

[1Yannick Le Manac’h – Inspecteur principal des Affaires Maritimes, branche technique (E.R)

[2Créé en juillet 1940 par le général de Gaulle, le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) était pendant la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignement et d’actions clandestines de la France libre.

[3Richard Brook : officier de réserve Royal Navy, commandant d’une flottille de vedettes lance-torpilles, organise, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, des traversées clandestines et périlleuses d’agents secrets à travers la Manche, en direction des côtes françaises,

[4Michel Guillou ; docteur en histoire contemporaine ; historien trégorrois : Les anglais et la résistance bretonne ; Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne.

[5Sylvaine Bearhel ; Alibi 1940-1944 : Histoire d’un réseau de renseignement pendant la Seconde guerre mondiale ; Ed. Jean Michel Place, 2000

[6Anciens et Amis des services spéciaux français (AASSDN)

[7La flottille était composée de vedettes rapides : le MA/SB 36, les MGB 318, 502, 503 et la MTB 718 et les vedettes lance-torpilles américaines PT71 et PT 72. La MGB 318, canonnière de la classe C, de 33,5 mètres, avait déjà effectué quinze missions sur les côtes bretonnes avant octobre 1943. Les vedettes MGB 502 et 503 étaient des canonnières plus longues et plus puissantes. La MTB 718 (Motor Torpedo Boat), la dernière à rejoindre la flottille en mars 1944, avait la plus grande autonomie.

[8Bilan des opérations maritimes des flottilles britanniques et américaines de janvier à septembre 1944 (synthèse de Michel Guillou) – Les Anglais et la résistance bretonne – Michel Guillou

[9Loïc Beauverger ; ancien chef de la rédaction Ouest-France de Lannion (décédé le 25 mars 2022) : Pleumeur-Bodou. Quand les Alliés débarquaient à l’île Grande ; Ouest-France 30.08.2020

[10Yvon et Simone Jézéquel : unis dans l’action et la mort au service de la France Libre ; AASSDN – 04.06.2024

[11Plouha – Anne Ropers raconte Shelburn – Côtes d’Armor Magazine n°150 ; Mars-Avril 2016

[12Claude Bénech. L’incroyable histoire du réseau Shelburn – Plouha-Guingamp 1943-1944 ; Coop Breiz (Juillet 2019)

[13Huguen Roger. Par les nuits les plus longues. Réseaux d’évasions d’aviateurs en Bretagne 1940-1944 – 2ème éditions, Saint Brieuc ; Les Presses bretonnes (1976)

[14Paul François Campinchi, né en 1903 à Saint-Georges-sur-Cher (Loir-et-Cher), est auxiliaire de bureau à la Préfecture de Police de Paris

[15Michel Guillou associe à l’île d’Er une 5ème mission « couronnée de succès » réalisée le 22 septembre

[16La Presse d’Armor du 10 octobre 1992

[17Dans la nuit du 25 au 26 avril 1944, vers 2h du matin les torpilleurs allemands T24, T27, T29, font route vers Brest après avoir mouillé un champ de mines dans le nord-ouest de l’archipel des Sept-Îles lorsqu’ils sont interceptés dans le nord-ouest de l’île de Batz par la force navale 26 chargée d’empêcher toute activité allemande en Manche avant le débarquement ; tentant alors de faire demi-tour pour rejoindre Saint-Malo en longeant la côte pour échapper aux radars anglais, ils sont pris sous le feu des navires alliés.

[18La classe Type 1939 est une série de quinze torpilleurs construits en 1942 au chantier naval Schichau-Werke d’Elbling (Pologne) pour la Kriegsmarine. Ce sont des destroyers dits moyens (Flottentorpedoboot) connus aussi sous le nom de classe Elbing par les alliés.

[19Le torpilleur T29, équipage de 206 hommes, était commandé par le Kapitänleutnant Georg Grund

[20Le Schnellboot ou S-Boot (« bateau rapide ») ou E-boat pour les alliés, désignait les vedettes lance-torpilles de la marine allemande

[21SHOM épave N° 14583010. Sonde à 37 m sur la carte 7125 – classée sépulture de guerre

[22Les souvenirs de guerre d’un marin allemand – Pierre Lagacé dans Divers, torpilleur T 24 – Wilhem Küllertz – 15 avril 2019 .

[23Yvon et Simone Jézéquel : Unis dans l’action et la mort au service de la France Libre - Association des Anciens et Amis des services spéciaux français (AASSDN)

[24Inauguré le 3 mai 1959, ce monument national unique en France, est dédié aux membres des services spéciaux morts pour la France lors de la seconde guerre mondiale. Il porte gravé dans la pierre les noms des membres des réseaux du service de renseignement et de contre-espionnage qui œuvraient depuis l’automne 1940 dans la clandestinité en France occupée pour préparer les opérations qui ont amené la libération du pays. Ces héros pris par les services de l’occupant sont morts fusillés, décapités, martyrisés ou dans les camps de concentration. Ce sont près de 320 hommes et femmes dont les noms sont gravés sur ce mémorial national. Mémorial des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale (ASSDN) Square Alsfasser, Village, 83350 Ramatuelle

[25Il est étonnant que la 23ème flottille de MTB des Forces navales françaises libres (FNFL) basée également à Dartmouth, n’ait pas participé aux opérations du SIS