Les établissements Guézenec, marchands de bois et matériaux, moteurs de l’activité portuaire à Tréguier

En 1884, le docteur Guézenec exerçant à Tréguier, fils d’un capitaine de Bréhat mort aux Indes, marié à Caroline le Goaster, achète pour son fils Daniel la petite entreprise Biannic (un ouvrier et une brouette… !), établie sur le port (emplacement actuel de l’hôtel Aigue Marine).

Desserte premier site, embranchement rails vers gare, carte postale, (collection particulière)

L’entreprise de négoce de bois s’agrandit et demande même le 9 mars 1909 d’être raccordée par rails à la gare des Chemin de Fer des Côtes du Nord, construite sur le terre-plein d’en face en 1904.

- Desserte premier site, embranchement rails vers gare, reproduction plan mai 1918 (AD 22 8 S 119)

Elle demande la même année, un deuxième embranchement pour le chantier de bois qu’elle possède au nord du grand quai ; elle l’obtiendra en 1910 après bien des discussions. A cette occasion monsieur le maire, Gustave de Kerguézec, se plaint des abus de Monsieur Guézenec qui envahit les quais de Tréguier et perturbe la circulation par ses transports de bois…
Déménagement en 1920, le long de la promenade plantée du grand quai, sur un grand terrain d’un hectare appelé Kernidy, acheté aux Villeneufve, derrière l’ancienne douane (chantier naval du Jaudy). Daniel Guézenec y construira au fur à mesure des bâtiments pour le travail du bois qui vont couvrir presque la totalité du fonds.
Il sera évidemment raccordé en 1920 aux rails de la gare sur les quais, rails qui se prolongent sous un étonnant pont roulant en anneau pour desservir les différents stockages. Un rail est suspendu à des poteaux et charpente en béton armé surmonté d’une toiture en ardoise.

- Portique supportant les palans, (photo Michel Le Hénaff, 2008)

Accroché à ce rail, deux palans électriques de 5 tonnes permettent entr’autre de charger et décharger wagons, charrettes et camions. Cette installation fait la fierté de l’entreprise et on la visite de toute la France.

Le transporteur électrique, carte postale (collection particulière)

Plus tard les jardins situés au dessus sont acquis pour établir dans un premier temps une scierie à grumes, puis une fabrique de parpaings agglomérés (actuelle Maison des Services Publics).
L’examen des photos anciennes avec les déchargements de bateau et les hangars bondés de bois montrent que l’activité essentielle est l’importation puis le négoce du bois scié.

Envoi à client avec en tête énumérant les activités, carte postale (collection particulière)

Un bristol du début du XX ème siècle, décline les activités de l’entreprise : bois du Nord, d’Amérique et du Pays, Planchers et Parquets, Moulures et Chambranles, Espars et Mâtures, Ardoises, Briques, Tuiles, Ciment, Chaux grasses et hydrauliques.
Le bois du Nord arrive par bateaux de Pologne, de Suède, de Finlande et même d’Archangel’sk en Russie. Les mâtures viennent de Louisiane, pin d’Orégon, pitchpin…Le transport de ces troncs est compliqué, vue leurs longueurs : il n’est pas rare de les voir dépasser des écubiers des navires ! Ils prennent souvent la direction des chantiers paimpolais pour équiper les goélettes pour Islande.
Le bois d’importation repart des entrepôts par charrois à cheval, par train puis plus tard par camions.
Autrefois pour la manutention sur les quais, les dames trégorroises étaient embauchées. Elles n’ont pas le droit de monter à bord des navires, mais quand le madrier est sur le quai, elles prennent le relais avec les coiffes de travail. Elles se mettent à deux pour déplacer leur charge, à la différence des hommes qui le font seul.

Le port, le déchargement d’un vapeur, les femmes avec leurs coiffes sont à l’ouvrage, carte postale, (cliché Janvier)

Les déchargements se font au mât de charge des navires, puis dès 1925 Daniel Guézenec positionne une grue de 1500 kilos sur rails, le long des quais (J.O. 1925) puis une deuxième, d’abord à vapeur puis électriques. Ces grues feront l’objet de l’attention des Allemands qui les dynamiteront à leur départ en 1944…

Le quai planté avec cargo et grues éclectiques de l’entreprise, la ligne de chemin de fer de desserte du port est en place, carte postale (collection particulière)

L’entreprise s’essaie aussi à l’armement de navires, elle fait au début des années 30 l’acquisition d’un cargo de petit cabotage qu’elle baptise le Kernidy. Construit en 1927 en Angleterre et certifié au bureau Véritas, il jauge 178 tonneaux, mesure 33 mètres, avec un moteur de 120 chevaux, il atteint les 7 nœuds. Son équipage est composé du capitaine Marpeaux, du second Tual, du mécanicien Ervel, des matelots Peiger et le Coëdoux et du mousse le Carve. Il sera victime de plusieurs fortunes de mer :

  • le 13 juin 1934, chargé de 180 tonnes de plâtre, victime d’une voie d’eau, il se met volontairement à la côte à l’entrée de Saint Nazaire,
  • le 30 septembre 1935, chargé de grains pour Honfleur, il essuie un coup de vent en sortant de Cherbourg et machines en avaries, il rebrousse chemin. Il sera revendu en 1939, l’expérience d’armateur s’arrêtera à ce seul navire.
    Dans les années 1970, ils importent du sable de l’Ile de Wight : 41 000 tonnes en 1973.
    Les premiers, ils aménagent le premier casier de décantation en béton encore en place aujourd’hui à l’arrière du quai Cornic, le long du Guindy.
    Daniel Guézenec a transmis son entreprise à son fils Yves et à ses petits-enfants. Au plus fort de ses activités, elle comptera 70 personnes et elle aura des établissements secondaires à Saint Brieuc, Paimpol et Perros Guirec. Vendue en 1988, le repreneur cesse son activité en 1991, le site est vendu à l’entreprise de manutention portuaire Coralmer (Piriou), puis au chantier naval Quelen.

Documentation : Journal Officiel, journal Ouest Eclair, (Gallica)
Journal de Tréguier (Archives départementales 22 et bibliothèque Tréguier)
Sources : Témoignage de Bernard Guézenec