Tréguier, Vins et Cidreries

Le goût immodéré des Celtes pour le vin et autres breuvages a toujours étonné les auteurs grecs et latins. A la cour des princes le vin importé coulait à flots, même en Irlande et au Pays de Galles. Les fouilles archéologiques de sites gaulois ou gallo-romains révèlent la présence de nombreuses amphores vinaires. A Paule sur le site de Saint Symphorien, ferme-forteresse dont l’histoire commence six cent ans avant J.C., il a été trouvé cinq mille tessons, soit trois cent cinquante amphores…Si l’invention du tonneau par les Gaulois a amélioré le transport des breuvages, il faudra attendre le XIXe siècle pour améliorer la vinification et la qualité de conservation de ces vins.
Au procès de canonisation de Saint Yves, parmi les témoins entendus à Tréguier en 1330, nombreux sont ceux qui se présentent comme des marins de profession ou qui rapportent avoir vu des marins étrangers affluer à Tréguier comme à Kermartin https://books.openedition.org/pur/2.... Avec eux, la cité épiscopale de saint Tugdual se hisse sans conteste au rang de port de mer actif, tout comme ses hommes se dévoilent comme fréquentant de façon usuelle des havres aussi distants que Rouen, La Rochelle ou Bordeaux, en y transportant ou important : blés, vins, sel……
Dans l’enquête du 27 juillet 1507, sur les droits d’entrées et sorties du Port de Tréguier, procès entre l’Evêque et son chapitre opposé aux bourgeois, marchands et habitants de la ville de Tréguier sur l’exemption des droits de charger et décharger : blez, vins, acier, plomb et aultres, il est dit que Henry Provost estoit maistre de barque, porta tant d’Espaigne, Biscaye que la Rochelle sans que jamais il ne paya…
Dans les comptes de la Confrérie de Notre Dame de Coatcolvézou en 1539, nous avons une idée de l’activité du port de du commerce à Tréguier. Les maîtres de navires, membres de la Confrérie devaient lui payer 6 deniers par tonneaux de vin ou fer. Exemples tirés de la liste : de Jehan Nicholas, maistre après Dieu de la barque la Katherine pour neuf tonneaux de vin. Marc le Goareguer, pour douze tonneaux de vin de sa pinasse.
S’il n’est pas évident de trouver des amphores romaines dans le Trégor, les trois extraits précédents montrent la pérennité du trafic des vins au port de Tréguier. D’autres documents analogues notent aussi la même activité à la Roche-Derrien, à Pouldouran et dans les divers havres de la Rivière.
Dès la fin du XIXe siècle, une part de l’activité du bornage déchargeant à Tréguier est consacrée au commerce des pommes à cidre qui arrivent du pays de Dinan, Saint-Cast le Guildo, Pleurtuit et du Finistère. Les navires sont rapidement concurrencés par le train dès à l’ouverture de la ligne Plouëc-Tréguier en 1905.

, déchargement de pommes à cidre d’un wagon, ne pas confondre avec à l’arrière une charrette qui se prépare à charger des pommes de terre sur un bateau (carte postale, collection particulière)
, même scène que photo ci-dessus, nous visualisons bien le sloop, échoué au vieux quai. Nous réalisons la cohabitation possible entre port et chemin de fer (carte postale, collection particulière)

Dans les années 1950 les camions prennent la relève et alimentent les nombreuses cidreries de la Ville qui font bien entendu aussi le commerce du vin.
Chacun a son pressoir et aussi son alambic et chacun donne un nom imagé à sa production : pour exemple chez Stanislas Nicol, rue Renan, le cidre, se nomme Gwad Avalou (Sang de la Pomme) et le lambig, Kazadenn Tad Koz (Cuvée du Grand Père).

Claude Nicol, fils de Stanislas présente la bière du Pêcheur (collection François Augès)

Les pressoirs, au départ mécanique se transforment en hydraulique à haut débit, avec toile de jute pour maintenir le pressât. Les habitudes changent et le cidre se fait rapidement concurrencer par le vin et plus tard la bière.
L’épopée du vin à Tréguier, culminera avec l’accostage régulier du Sloughi, pinardier dans les années 1950

Le Slouhi à l’accostage (collection Michel Le Hénaff)

. Ce bateau-citerne a remplacé le quatre mats Capitaine Guyomard, qui approvisionnait en vin la Bretagne mais qui à notre connaissance n’est pas venu à Tréguier. Dernier quatre mats en activité, au capitaine de Kergariou de Plestin les Grèves, il a coulé sur les côtes d’Espagne le 30 décembre 1947.

Histoire du Sloughi : à la Libération en 1944, le chantier naval de Blainville près de Caen a en construction une série de 10 navires citernes commandés par la Marine allemande, prévus à l’origine pour assurer le ravitaillement des troupes de l’Afrikakorps. Comme dans tous les chantiers français sous l’occupation, les travaux ont traîné, et quoique la construction de certains soit bien avancée, aucun n’est encore terminé. Il est décidé d’en achever 8 dont 6 sont attribués à la Marine marchande et 2 à la Marine nationale.
Ces navires citernes sont pratiquement identiques : longueur 59,6 m, largeur de 9,45 m et un creux de 4,3 m, ils présentent une jauge brute de 621 tonneaux et un port en lourd de 832 tonnes. A cette charge, leur tirant d’eau s’établit à 3,96 m. Propulsés par deux moteurs diesel Sulzer de 700 CV chacun, ils atteignent 12,4 nœuds aux essais pour une vitesse de 11,5 nœuds en service normal.
Le cinquième de la série, baptisé Sloughi, est directement incorporé à la Société Navale Chérifienne au Maroc. Il n ’est mis en service qu’en 1948. Après avoir transporté pendant dix ans du vin sous pavillon français, il devient la propriété d’une société marocaine au moment de l’indépendance du Maroc en 1958. Il ne stoppera pas pour autant les livraisons en Bretagne, tant à Saint Brieuc qu’à Tréguier. Il terminera sous les chalumeaux à Briton Ferry, au sud-ouest de l’Angleterre en 1978.
Ses différentes mésaventures sont toujours gravées dans la mémoire des Trégorrois et les légendes égayent nos veillées. Des tonneaux du précieux liquide tombent en un endroit précis de la Rivière où ils sont attendus, les tuyaux de dépotage sont percés et chacun peut récupérer…, le navire est échoué coque percée et …
L’échouage est réel le premier mars 1965, en provenance d’Algérie, le bateau-citerne au mouillage dérape de son ancre dans le port de Tréguier et part s’échouer sur les rochers de Kérantrez, côté Trédarzec. Les sabliers Fleur du Trégor à Le Jolu et Birvideaux à Perrot, tentent en vain de le déséchouer. Il est planté sur la roche, il faudra le décharger partiellement dans les Chaix du Trégor et attendre la marée propice
Cette affaire ne plait pas aux agents des Contributions Indirectes qui lors des transbordements, ne trouvent pas leur nombre d’hectolitres…un procès suivra jusqu’à la cour de Cassation !

L’un des destinataires de la cargaison est Jean Cornic, négociant à la Roche Derrien, ville où sont aussi établi d’autres marchands de vins et cidres : Abraham et Savidan
Le vin importé du Maroc et d’Algérie est fortement alcoolisé, jusqu’à 14o pour le Mascara, les négociants le coupe avec des petits vins du Languedoc acides et peu alcoolisés. A Tréguier il est stocké dans une cuverie installé en bas de la rue Lamennais sur le port, bâtiment actuel du manutentionnaire.

le bâtiment qui abritait les cuves des Chaix du Trégor, actuellement, siège de la manutention portuaire (photo Michel Le Hénaff)

A Tréguier, sont établis dans les mêmes activités : Stanis Nicol, 36 rue Renan, Jean Augès, 25 rue Saint André,

dépôt établissement Jean Augès, négociant en vins et cidres, 25 rue Saint André, manutention d’un tonneau (collection François Augès)

Joseph Bézard, 10 rue Lamennais Emile Ollivier, 9 rue des Perderies, Joseph Ansquer, 6 rue des Perderies,

magasin de détail de la maison Ansquer, 6 rue des Perderies, la gente féminine pose, coiffée de leur Toukenn (collection François Augès)
établissement Ansquer, 6 rue des Perdreries, foudres alignés avant démolition (photo Michel Le Hénaff, 2012)

Louis le Roux, 5 avenue des Etats de Bretagne. Ces établissements ont tous disparus dans les années 1970 et petit à petit les vestiges des installations disparaissent, seul subsiste encore les cuves des entrepôts Bézard.,

cuve de chez Bézard, rue Lamennais, fabrication de la Compagnie du Ciment-Verre, Paris Bercy, l’échelle à tonneau est encore à poste (photo Vincent Huet)

Sans doute cela est imputable à la non utilisation de ce lieu pendant 70 ans, en mémoire des époux Bézard, tués, le 6 août 1944, sous les bombes d’avions anglais, visant le manoir du Gollot à proximité qui héberge la Gast ( douane allemande)

Bibliographie
• De LA BORDERIE Arthur, Monuments originaux de la vie de Saint Yves, Editeur Prudhomme, Saint Brieuc, 1887, op. cit., témoin XII, p. 42
• De LA BORDERIE Arthur, Histoire Municipale de la Ville de Tréguier, Documents inédits…. Plihon et Hervé Editeurs, Rennes, 1894
• ALE Gérard et POULIQUEN Gilles, le vin des Bretons, Editions le Télégramme, Morlaix, 2004
• LACROIX Louis, Les derniers voiliers morutiers terre-neuvas islandais groenlandais, Editions maritimes et d’outre-mer, 1970 (première édition en 1949).
• Annuaires de la Marine marchande de 1947 à 1976.
La flotte marchande française de 1947 à 1961 - Robert Gross.
• Site Internet http://acoram.aquitainenord.free.fr... article de Pierre Le Jeune sur les bateaux citernes (Sloughi…)